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Colonisation : quand les socialistes assumeront-ils cet héritage ?
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Colonisation : quand les socialistes assumeront-ils cet héritage ?
Pour lhistorien Pascal Blanchard, loccultation par le Parti socialiste du rôle historique de la gauche française dans le processus colonial pèse sur son approche de limmigration et sur sa capacité à conceptualiser la diversité.
Loccultation du fait colonial est-elle une spécificité française ? La question vaut dêtre posée. Deux pays éprouvent de ce point de vue une réelle difficulté à se pencher sur leur passé colonial: le Japon et la France. Tous les deux sont encore piégés par ce passé et connaissent des mémoires en conflit. À léchelle de lEurope, la plupart des nations ex-colonisatrices ont pourtant eu des réactions spécifiques, et elles ont, pour lessentiel, mieux appréhendé que la France ce passé. Partout, les gauches européennes ont été partie prenante de ces prises de conscience, à lexception de la France.
Au Japon comme en France, lhistoire coloniale renvoie à des enjeux politiques contemporains et à lidentité même de nos deux nations,à « lidentité nationale » en quelque sorte. Pour la France,cest de toute évidence le rôle de la République qui est interpellé dans ce débat, et au Japon la place de lempereur dans cette expansion ultramarine. Dans les deux pays, enfin, les différentes gauches narrivent pas à faire émerger une réflexion sur ce passé capable doffrir une alternative à la pensée dominante et aux aveuglements du présent face au passé. Néanmoins,cinquante ans après la défaite de Diên Biên Phû et le début du conflit algérien, cette politique de la non-mémoire semble se fissurer. Le silence nest plus possible; du moins cette absence de prise de parole commence à interroger lopinion et en particulier les partis de gauche. Une page est sans doute aujourdhui tournée(1), et depuis, la «mémoire coloniale» semble investir de toutes parts la société française et fait débat dans notre présent. Pour autant, lenjeu politique nest pas encore relayé avec force par les partis de gauche en France, comme si ce débat faisait « peur ».De fait, lhistoire des socialistes français est intimement liée à la question coloniale, il faut une fois pour toute laccepter.Elle fut clairement une idée de gauche à la fin du XIXe siècle, ce qui ne signifie pas que la droite monarchiste ou nationaliste ny ait pas pensé antérieurement, mais lengagement colonial de la IIIe, puis de la IVe République est une réalité qui sinscrit aussi dans lhistoire de la gauche française, avec ses débats, ses oppositions, mais aussi ses engagements sans ambiguïté et ses égarements par rapport à ses valeurs les plus fondamentales.
Quon le veuille ou non, limpérialisme et le colonialisme contemporains sont étroitement associés à lhistoire de notre République.Lécole,larmée et la colonie formaient les trois piliers de la IIIe République. Jules Ferry ne fut pas seulement lhomme de lécole, il fut aussi celui de la coloniale! La gauche doit assumer lambiguïté de cet engagement qui a perduré jusquàGuy Mollet.Elle doit aussi rappeler quau moment où Jules Ferry, à la Chambre des députés, en juillet 1885, affirmait: « Il faut le dire nettement: oui, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Comment justifier, sinon, notre présence aux colonies », il a existé, au même moment, un autre élu de cette assemblée, et de gauche, Jules Maigne, pour lui couper la parole et lui rétorquer : « Vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les droits de lhomme!»
Nest-il pas temps, pour la gauche, et le Parti socialiste, de sinterroger sur le principe même de diversité et la manière dont elle appréhende la «différence»? On ne peut faire léconomie des questions propres au colonialisme et se pencher sur la question de la diversité en occultant les questions du passé. Nous ne pouvons vivre sans héritage, nous le savons, mais forts des combats menés par nos aïeux, il nous faut aussi savoir être critique là où des engagements sont paradoxaux face aux valeurs que nous défendions, ici, en métropole. À cet égard, nous sommes les héritiers des regards dhier. Certains, au sein de la gauche socialiste, ont ouvert ce débat depuis une dizaine dannées, sans pour autant être suffisamment relayés à lintérieur du parti. On pense à Pierre Joxe qui, en 1998, écrivait : «Il y a encore chez nous lhabitude davoir des sujets, de coexister avec des individus de statut inférieur, de faire travailler à notre profit des hommes nayant pas tous les droits de lhomme et encore moins ceux de citoyens. ( ) Dune certaine façon, il manque à la France une prise de conscience sur les crimes commis en son nom durant la période coloniale et durant la décolonisation(2). » Pour en sortir, poursuivait-il, il faut faire appel à une « culture historique, qui existe chez une fraction de la gauche et de lintelligentsia,mais qui na pas été présente dans le débat politique, qui a été occultée, alors quelle serait nécessaire pour comprendre certaines difficultés actuelles ».
Dans ce contexte, comment la complexité de lhistoire de limmigration et de notre passé colonial peut-elle être intégrée à notre héritage commun? En refusant de construire le musée de limmigration, il y a quelques années, le gouvernement de Lionel Jospin a démontré lincapacité de la gauche à apporter une réponse concrète à une demande sociale simple de reconnaissance dune histoire «commune ».En quoi construire un lieu de savoirs aurait-il été en contradiction avec le message de la gauche ? La gauche française a sans doute manqué loccasion de réfléchir sur un discours cohérent face à limmigration. Dailleurs, la droite en 2002, a su semparer dune telle question. À un niveau similaire, la gauche, après des années dans laction gouvernementale,na pu mettre en oeuvre un véritable projet pour bâtir un lieu de savoirs sur la colonisation, lesclavage et les outre-mers. Ces deux espaces de «savoirs» et de connaissance auraient pu être de véritables projets « forts » de la gauche au pouvoir ; au lieu de cela, elle ne laisse que lhéritage des commémorations de lesclavage, de la traite et des abolitions comme traces de son action gouvernementale.
Pascal Blanchard,
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