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L.Fabius"Une gauche moderne nest pas droitière"
Une gauche moderne nest pas droitière
11 juillet 2007
Sage actif, Laurent Fabius entame la réflexion de fond en vue de la refondation de la gauche. Il publie cette tribune dans "Le Nouvel Observateur".
Pour voir la gauche emporter lélection présidentielle, il faut remonter près de vingt ans en arrière. Cétait François Mitterrand, à ce jour seule figure socialiste dans la galerie des présidents de la Ve République.
Devant cette réalité tout le monde parle de refondation, mais attention aux faux-semblants ! Evitons de jouer « retour vers le passé », lhypertrophie des égos en plus, un retour présenté paradoxalement comme le dernier cri de la modernité. Il sagirait notamment dappliquer en France les recettes traditionnelles de la social-démocratie, longtemps efficaces mais devenues souvent inadaptées face au nouveau capitalisme.
Certes, personne ne possède dès maintenant le sésame de la refondation et je nentends pas aborder ici en détail les questions importantes dorganisation. Mais pour avancer je suis convaincu que nous devons à la fois maintenir nos valeurs socialistes et revisiter très profondément nos propositions, en les ouvrant davantage sur le monde et sur le futur : cest la double clé de la refondation.
Lesprit douverture doit dabord guider lanalyse de notre défaite. Pour 2007, en laissant de côté les questions de personne, toujours discutables, nous avions plusieurs atouts incontestables : le mauvais bilan de la droite, le remords du 21 avril 2002, la forte demande de changement dans le pays et la domination des thèmes de gauche auprès de lopinion. Ce dernier point doit être souligné. La société française ne sest pas droitisée. Le refus des excès de la mondialisation financière est vivace. Lexigence de services publics et dégalité est forte. De nombreuses mobilisations sociales sont survenues ces dernières années. Aujourdhui, les Français sinquiètent des nouvelles taxes sur la santé ou des milliers demplois denseignants supprimés. Ce nest pas un hasard si le candidat de la droite sest senti obligé durant la campagne de reprendre dans les mots certaines aspirations de la gauche et si le grand homme de cette séquence électorale fut ... Jean Jaurès.
Une forte demande de gauche donc, qui se termine en victoire de la droite. Jy vois deux raisons principales. Le terrain économique et social a été trop délaissé par nous, au profit de thématiques davantage sociétales, personnelles et morales. La critique des projets de la droite na pas été assez convaincante. Ainsi, le fameux slogan « travailler plus pour gagner plus » na pas été efficacement déconstruit. Tirons-en au moins une leçon : les socialistes doivent refuser tout sectarisme, ils doivent aussi refuser le confusionnisme consistant à se laisser glisser sur le terrain de ladversaire qui peut alors brouiller les cartes et manuvrer à sa guise.
Au plan électoral lenjeu de la refondation, cest la reconquête de notre base populaire qui subit de plein fouet la précarisation et les difficultés de pouvoir dachat. Les données sont claires : cest dabord cet électorat qui nous a manqué, en particulier dans les régions industrielles durement touchées par les effets de la mondialisation. Tous ces Français attendent à juste titre de la gauche plus dégalité (davantage pour le travail et non pour le seul capital), plus de solidarité (investissements publics dans la santé, lécole, le logement, les transports) et plus de protection (sécurité, juste échange plutôt que libre échange). Pour eux, les questions du pouvoir dachat et de lavenir de leurs enfants priment sur tout autre sujet. Ils attendent de la gauche des propositions précises, crédibles et opératoires dans ces domaines. Cest notre défi.
La première exigence pour relever ce défi, cest-à-dire pour conjuguer solidarité et efficacité, consiste à clarifier enfin notre rapport à la mondialisation. Nous navons pas su le faire jusquà présent. Evidemment celle-ci constitue un phénomène très complexe. Dun côté, louverture des frontières, la mise en réseau des hommes et des cultures et les avancées technologiques conduisent à un développement humain positif. De lautre côté, le capitalisme financier creuse les inégalités et en installe de nouvelles ; le marché, utile en lui-même, affaiblit les régulations et les normes dès lors quil devient tout puissant ; la recherche systématique de la rentabilité à court terme détruit souvent lenvironnement, oppose les individus, déséquilibre les territoires.
Certains ne voient dans la mondialisation que ces désordres et senferment dans la seule dénonciation. Cest limpasse de lultragauche dont le diagnostic est parfois juste, mais qui laisse lespace aux ultra-libéraux faute dapporter des réponses crédibles. Dautres croient en une « mondialisation heureuse » et recommandent ladaptation, voire la résignation. Ainsi sexprime parfois une certaine branche de la sociale démocratie lorsquelle prône seulement linsertion dans la mondialisation telle quelle est, estimant possible détablir des compromis à la façon des années 50. Le problème est que la mondialisation financière actuelle déséquilibre les rapports de forces au profit du capital, précarise les salariés et déstabilise laction publique dans chaque Etat, rendant largement caduques les vieilles méthodes. Prôner un « socialisme du réel » est juste mais na de sens que si on noublie pas en cours de route que le réel est devenu plus libéral et plus brutal.
Cest pourquoi je pense quaucune de ces voies - lultragauche et linfragauche - nest vraiment satisfaisante. Oui, la double clé de la refondation, cest la rénovation de nos propositions dans la fidélité à nos valeurs. Car ces valeurs ne sont pas dépassées. Face à la précarité et à lindividualisme, il y a besoin dégalité et de solidarité. Face aux communautarismes, il y a plus que jamais besoin de laïcité. Face à la marchandisation généralisée, il y a besoin de services publics et de développement durable. Face à la concentration des pouvoirs, il y a besoin de démocratie libre et de pluralisme. Face à lexplosion des nationalismes, au risque de guerre des civilisations et aux inégalités internationales, il y a besoin dEurope et dinternationalisme. La gauche doit revendiquer ses valeurs. La gauche moderne nest pas une gauche droitière.
Je refuse le choix quon cherche à nous imposer entre archaïsme et libéralisme. A bien des égards, cest le libéralisme qui est archaïque. Ses solutions, appliquées durement, mènent souvent aux reculs sociaux, à laccroissement des inégalités et au saccage de lenvironnement. Le socialisme, lui, est fondamentalement progressiste. Nous défendons les conquêtes sociales, nous proposons de développer de nouveaux droits, de créer de nouveaux gisements demploi et de croissance, dagir contre les inégalités, nous refusons lobscurantisme, nous croyons dans la science et la technique, nous encourageons de nouvelles découvertes améliorant le sort de lhomme.
Mais pour faire vivre ces valeurs dans un monde qui a changé et qui va changer, nous avons besoin de propositions très novatrices. Ne redoutons pas dêtre audacieux. Quatre exemples.
Le rapport capital - travail : là où la mondialisation financière exerce une pression à la baisse sur la rémunération du travail, notre réponse en direction de lemploi et du pouvoir dachat doit viser la « compétitivité par le haut » et non la course au moins disant. Pour la France, cela implique dinvestir beaucoup plus quaujourdhui dans lenseignement supérieur, la formation, la recherche, la culture, linnovation ; dencourager - eh oui ! - les entrepreneurs et lesprit dentreprise ; de sécuriser les parcours professionnels et daméliorer la santé au travail ; de soutenir le pouvoir dachat par lamélioration des salaires, des pensions et par une meilleure répartition ; de repenser lorganisation du temps de travail, tout au long de la vie en tenant compte du vieillissement, donnée majeure.
LEurope : pour agir contre les dérives du libre-échangisme, nous devons proposer de nouvelles régulations. Une vraie réciprocité dans les pratiques commerciales, la lutte contre le dumping social et environnemental, la pénalisation des entreprises prédatrices doivent devenir de nouveaux mots dordre. Nous devons relancer et réorienter la construction européenne sans nous contenter de simples ripolinages institutionnels. Pour bâtir une véritable souveraineté économique et sociale de lUnion européenne, lobjectif de convergence sociale européenne doit être réactivé, un budget commun pour la recherche et linnovation mis en place, une politique monétaire de croissance remplacer celle de leuro cher, le fétichisme de la concurrence laisser place à une politique industrielle et énergétique concertée. Un tarif extérieur commun doit se substituer aux dérives actuelles.
La puissance publique : dans certains domaines, nous devons rétablir des leviers daction. Cest le cas pour notre approvisionnement énergétique, enjeu majeur du siècle à venir et secteur où la France possède des atouts magnifiques. De même pour notre capacité à stimuler léconomie, par exemple en faveur des PME innovantes. Dans dautres domaines tels que la solidarité, nous devons rénover les mécanismes grippés pour éviter, par exemple, les dépendances durables ou lassistanat. Cest à la gauche de se fixer comme objectif daméliorer partout lefficacité de laction publique, celle de lEtat et des collectivités territoriales à travers des solutions innovantes.
Lenvironnement enfin : sa dégradation est gravissime. Elle est, jen suis convaincu, encore plus avancée quon ne le dit. Lexigence écologique doit devenir transversale. Elle doit être prise en compte dans toutes nos politiques nationales et dans toutes les négociations internationales. Une fiscalité écologique doit être mise en place. La recherche déconomies dénergie doit être généralisée et le ferroutage massivement développé. Socialiste et écologiste, au 21ème siècle, ces deux combats nen font plus quun.
Je nai pas évoqué ici les questions dorganisation, mais pour refonder la gauche, il faudra évidemment la rassembler, donc accepter ses différences. A cet égard, le Parti socialiste a vocation à couvrir un espace idéologique et électoral plus vaste quaujourdhui, allant des antilibéraux au centre-gauche. Les alliances avec les communistes, les radicaux, les verts, les progressistes, devront se nouer sur la base du projet socialiste et non à la va-vite. Le recrutement militant devra être diversifié, le fonctionnement moins « personnalisé », le débat didées stimulé. Un tel parti, socialiste et progressiste, pourra alors obtenir au moins 35% des voix au premier tour des élections. Cet objectif est parfaitement accessible à condition que chacun accepte de travailler ensemble, de tirer les leçons du passé, de faire taire ses rancunes et ses rancurs, de souvrir à lavenir et au monde tout en sachant résister à lair du temps. Un énorme travail dunification et dimagination est indispensable, qui ne peut pas être une opération de laminage. On cherche une méthode pour cette refondation ? Je propose celle-ci : traiter dabord sérieusement les questions de fond.
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