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"Nicolas Sarkozy veut imposer le modèle de l'école privée"
Nicolas Sarkozy veut imposer le modèle de l'école privée
Grand témoin : Philippe Meirieu
Philippe Meirieu, professeur des universités en sciences de léducation, dresse un état des lieux de lécole et de son environnement. Il met en garde contre la dérive libérale amorcée par le gouvernement et propose des pistes pour y résister.
Comme chaque année,la rentrée scolaire est loccasion de dresser létat des lieux de léducation nationale. Un bilan souvent présenté comme catastrophique: niveau en baisse, recrudescence des violences Quen est-il réellement?
Daprès toutes les enquêtes, lécole française a réalisé, jusquen 1995, des progrès considérables dans laccès au savoir. Mais depuis 1995, lécole peine de plus en plus à rectifier les inégalités. Léchec scolaire de 15 % à 20 % des élèves en est la preuve la plus accablante. Cest comme si, après une phase dexpansion extraordinaire, le système avait atteint une sorte de plafond. Différentes mesures ont été prises sans jamais se révéler convaincantes. Pour autant, lécole na pas démérité. Depuis les années 1950, elle a relevé des défis extraordinaires en termes de démocratisation et de scolarisation. Le problème est que linstitution scolaire a parfaitement réussi la démocratisation de laccès à lécole mais pas celle de la réussite dans lécole.
Quel est aujourdhui le véritable point noir du système ?
Ce qui est vraiment très préoccupant, cest la baisse réelle et mesurée de lacquisition et de la maîtrise de la langue écrite, en particulier de lorthographe grammaticale. Cette faille renvoie tout autant au statut de lécrit dans notre société quà un déficit proprement scolaire.Comment expliquer cette faiblesse ?
En amont, ce qui fait problème, cest le manque de concentration des élèves. Certes, ils ont accès à plus de connaissances, mais ils ne sont presque plus capables de se montrer attentifs. Cest une vraie question qui interroge non seulement lécole mais toute la société. Les élèves sont fatigués, survoltés, incapables de se fixer. Or, si on arrivait à résoudre ce problème, les élèves apprendraient mieux. Plusieurs facteurs ont conduit à cette perte de concentration. Les rythmes scolaires ne conviennent pas. Les journées sont trop chargées. Et beaucoup denfants se trouvent dans toute une série de difficultés sociales et économiques.
Nest-ce pas aussi la conséquence de la société dans laquelle nous vivons ? Un effet nocif de la modernité?
Nous vivons dans un univers survolté où la règle du « tout, tout de suite » prédomine. Cest lère du zapping. À croire que les enfants vivent avec une télécommande greffée au cerveau. Alors quand Nicolas Sarkozy écrit sa Lettre aux éducateurs, il pourrait aussi ladresser aux hommes et aux femmes de médias et se demander sil ne faudrait pas prendre exemple sur certains pays qui suppriment la publicité pendant les programmes destinés aux enfants. Il pourrait aussi lenvoyer à ses amis patrons de chaîne en leur demandant pourquoi ils laissent sinstaller ainsi la crétinisation. Plus largement, on observe un phénomène de toute-puissance du marché. Aujourdhui, le n 15 moteur de la croissance nest autre que la pulsion dachat. Or la pulsion est linverse exact de la réflexion. Les pédagogues sont de plus en plus confrontés à ce problème. Cest pour cette raison que lon ne peut pas sans cesse accuser lécole de tous les maux de la société. Cette posture consiste à faire fi dun environnement économique et social contre lequel les enseignants ont du mal à lutter. Lécole rame à contre-courant et peine. Le nouveau gouvernement peut toujours prôner un retour à lautoritarisme et aux bonnes vieilles méthodes, cest parfaitement inutile si, dans le même temps, il cautionne un système qui sape lautorité des adultes. On ne peut pas dun côté ériger le caprice en absolu et de lautre, vouloir user du martinet à lécole. Car entre le caprice et le martinet, les enfants auront du mal à trouver leur équilibre. Finalement, la question du niveau est devenue secondaire. Cest la question du climat autour de lécole qui est réellement inquiétante.
Ce climat menace-t-il le modèle de lécole républicaine ?
On voit en effet pointer lidée que le modèle républicain est obsolète. À aucun moment dans sa lettre, Sarkozy na fait mention des inégalités. A-t-il évoqué les ZEP laissées à labandon et qui ressemblent aujourdhui à un mensonge dÉtat ? Non, car en sous-texte, il veut imposer le modèle de lécole privée sous contrat. À savoir un système où les établissements choisissent leurs élèves, où la carte scolaire est abolie, lautonomie des écoles renforcée. Ce dernier point nest pas une mauvaise chose en soi sauf si lautonomie renvoie à la concurrence. Toutes les mesures proposées par ce gouvernement nous dirigent vers un système à laméricaine, concurrentiel et libéral.Je suis très inquiet car je ne suis pas sûr quon puisse ensuite facilement faire machine arrière.La remise en cause du collège unique par Nicolas Sarkozy va aussi dans le sens de ce système concurrentiel ?
Tout dépend de ce quil souhaite faire exactement. Pour moi, le collège unique reste à faire. On ne peut pas dire que ce soit une grande réussite quand on voit les écarts entre les élèves. Il faudrait diversifier les pédagogies au sein dun même établissement, « désuniformiser » le collège unique grâce à une personnalisation plus forte des enseignements. Ce serait aller dans le sens de ce que voulait Alain Savary, créateur du collège unique. Mais le gouvernement semble là aussi vouloir faire machine arrière en évoquant lidée dune sélection précoce à lentrée du collège. Ce serait une régression grave pour le pays. Une telle sélection serait un renoncement à léducation et à la démocratie, un renoncement à lidéal de lécole française défendu par Jules Ferry et surtout par Jean Zay que je considère comme lun des plus grands ministres de lÉducation nationale. Avec le Front populaire, Jean Zay voulait construire une école qui soit un lieu où lon apprenne ensemble les fondamentaux de la société.
Quelle alternative envisagez-vous ?
Lécole est aujourdhui confrontée à de vrais problèmes. Face à cette situation, il y a deux options : la contention ou léducation. Dans le premier cas, et cest la voie que semble vouloir emprunter le gouvernement, on contient les problèmes.Cette contention peut être judiciaire cest labolition de lexcuse de minorité pour les mineurs récidivistes de plus de 16 ans mais aussi disciplinaire. Cest une façon de contenir les problèmes en effaçant les symptômes. Seulement, la cocotte-minute continue à chauffer et elle finira par exploser. La société se met en péril en croyant retrouver un semblant de paix sociale. Elle prend le risque que toute une jeunesse se sente exclue et finisse par agir en desperados, nayant plus rien à perdre.Et la voie de léducation, comment la soutenir ?
Les défenseurs de la libéralisation sappuient sur les conflits quils entretiennent entre parents et enseignants. Il faut au contraire permettre à ceux-ci de travailler ensemble, faire en sorte quils se considèrent comme solidairement responsables de lavenir de lécole. Il faudrait donc créer un espace de réflexion où toutes les forces les parents, les éducateurs, les partis de gauche qui le souhaitent mais aussi les grandes confédérations syndicales qui ont leur mot à dire car il sagit dune question sociale se rassembleraient et réfléchiraient ensemble. Un exemple : les enseignants doivent comprendre pourquoi de plus en plus de parents fuient vers le privé. Quy cherchent-t-ils ? Le chantier social que jimagine permettrait de débattre de ces sujets et de trouver des solutions. Ce serait une façon de constituer un front républicain contre le modèle libéral. Il faut enfin que lécole soit traitée comme un sujet de société et non plus comme un sujet de techniciens. Cest aussi au niveau local quune telle résistance pourra émerger. Tous ces acteurs rassemblés pourront construire lécole du bien commun, une école où lon sécoute et se respecte.
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