• « Soyons prêts pour les combats démocratiques qui s’annoncent »

    « Soyons prêts pour les combats démocratiques qui s’annoncent »

    Deux mois et demi après son arrivée à l’Élysée, Nicolas Sarkozy a engagé de nombreux chantiers. L’occasion pour François Hollande de dresser un premier bilan de la période qui s’est ouverte le 6 mai dernier. Il évoque également le processus de refondation du Parti socialiste.


    Nicolas Sarkozy s’est exprimé à Épinal sur la future réforme des institutions. Le PS a dénoncé une « dérive présidentialiste ». Pourtant, est-ce qu’il n’y avait pas une hypocrisie à ce que le droit ne dise pas ce qu’est la pratique du pouvoir ? Nicolas Sarkozy a une certaine propension à tout vouloir trancher, ordonner, régenter. Sa pratique du pouvoir renforce les excès de la Ve République, à savoir la concentration des décisions en un seul lieu. C’est le pouvoir personnel. Ce n’est pas ma conception de la démocratie.Il y a donc nécessité à un rééquilibrage de nos institutions. Le projet socialiste a fait le choix de la république parlementaire qui allie un président responsable, un Premier ministre lié par un contrat de majorité, un parlement respecté. Nicolas Sarkozy est précis sur ce qui renforce ses prérogatives présidentielles ; il est interrogatif sur ce qui pourrait les limiter. Il demande par exemple à se rendre au moins une fois par an devant le Parlement ; en revanche, il est plus évasif lorsqu’il s’agit de supprimer les procédures contraignantes qui brident l’initiative législative du Parlement.Mais finalement, la quasi-disparition du poste de Premier Ministre est-elle un problème ? N’est-ce pas une façon de rendre le président plus responsable ? La difficulté tient au fait que c’est malgré tout le Premier ministre qui demeure responsable devant le Parlement. Nous aboutissons donc à un paradoxe. C’est le président et non le chef du gouvernement qui, en fait, « détermine et conduit la politique de la nation », mais c’est le seul Premier ministre qui peut, en droit, être renversé par l’Assemblée.Dans un régime présidentiel, comme aux États-Unis, le parlement dispose habituellement de moyens de contrôle renforcés. Rien pour le moment n’y ressemble dans ce que suggère le chef de l’État. Le seul « statut de l’opposition » qui vaille, c’est le renforcement des droits de l’Assemblée nationale.

    Parmi les nombreux points soulevés, quels sont ceux qui vous semblent prioritaires et sur lesquels pourrait éventuellement s’élaborer un consensus ?

    Tout ce qui concourra à l’affermissement des pouvoirs du Parlement aura notre agrément. Suppression de l’article 49-3, du vote bloqué, de la procédure d’urgence, possibilité pour les assemblées de fixer pour partie leur ordre du jour, mandat unique…

    Mais, là encore, j’observe la timidité du Président qui n’a évoqué par exemple la suppression de l’article 49-3 (adoption d’une loi sans vote) que pour exprimer sa propre « réserve ».

    Il nomme une « commission sur les institutions », mais il encadre déjà sa réflexion. Elle devra être « au-dessus des partis », mais visiblement pas au-dessus de lui…

    Pourquoi avoir stigmatisé la participation à la commission de modernisation de la vie politique qui sera présidée par Édouard Balladur ?

    Toute réforme institutionnelle ne peut être adoptée au Parlement réuni en Congrès que par une majorité des trois cinquièmes. Ce qui suppose, si l’on veut aboutir, de rechercher un consensus. La bonne formule aurait été celle de la commission parlementaire. Commencer par l’écarter de la réflexion augure mal du sens des réponses à apporter.

    L’ouverture, ce n’est pas choisir ses opposants sur chaque sujet. L’ouverture, c’est accepter un dialogue franc et ouvert avec l’opposition, dialogue à partir duquel les compromis peuvent être envisagés.

    S’agissant des institutions, nous verserons nos propositions au débat et nous verrons le traitement que leur réservera l’Élysée dans la préparation de son projet.

    À quelles conditions le PS est-il prêt à jouer le jeu de l’ouverture ?

    Ne soyons dupes de rien. Nicolas Sarkozy pratique l’ouverture médiatique, mais la fermeture programmatique. Il cite Jaurès, mais met fin à l’impôt sur la fortune. Il nomme des personnalités issues de la diversité, mais opère l’amalgame entre immigration et menace sur l’identité nationale.

    L’attraction du pouvoir peut être forte. Ce n’est pas nouveau. Mais que chacun prenne la mesure de ce qu’il accepte. On ne peut continuer à se prétendre de gauche et cautionner une politique résolument de droite. À chacun de prendre garde de ne pas finir comme dans la fable du corbeau et du renard, sauf à vouloir occuper un « fromage ».

    Justement, vous dites que la droite mène une politique résolument à droite. Ce n’est pas une surprise !

    Non. Mais Nicolas Sarkozy est, comme tous les hommes de droite, tenté de le faire oublier. Sa politique est malheureusement sans surprise. Au plan économique et social, l’adoption du paquet fiscal est une caricature. Le bouclier fiscal permettra, selon le ministère des Finances, à un petit millier de contribuables disposant d’un patrimoine financier supérieur à 15 millions d’euros de bénéficier d’une restitution moyenne de 250 000 euros par an. Ce qui coûtera à la collectivité 272 millions d’euros !

    L’UMP a également porté de 20 % à 30 % l’abattement de l’ISF sur la valeur de la résidence principale…

    Et elle a autorisé une nouvelle déduction pour les investissements dans les PME. Sans l’avouer, la droite vient de porter un coup décisif à l’impôt sur la fortune.

    La transmission de la richesse d’une génération à l’autre n’a pas été oubliée non plus. Alors que 75 % des successions étaient déjà exonérées, un couple avec deux enfants disposant de 1,5 millions d’euros pourra désormais transmettre l’intégralité de son patrimoine sans que ses ayants droit n’aient à acquitter quoi que ce soit, soit un gain de 200 000 euros par foyer fiscal dans cet exemple précis.

    Le chef de l’État parle de « choc de confiance »…

    Ce « choc » ne touche qu’une poignée de Français. Cette politique n’est pas de nature à donner au pays un surcroît de croissance. Pire, elle sera financée par la dette, la diminution des services publics, la vente d’actifs et l’augmentation des taxes pour le plus grand nombre (franchises de santé ou TVA sociale).

    Pour bénéficier de la politique de Nicolas Sarkozy, il faut commencer par être riche. C’est le principe du « pour gagner plus, il faut déjà avoir plus ».

    Ce n’est pas tout à fait le discours de Nicolas Sarkozy…

    Ce n’est pas son discours qui doit le plus solliciter notre vigilance, mais ses actes. Nicolas Sarkozy dit aimer l’école et ses enseignants, mais c’est son gouvernement qui s’apprête à supprimer plus de 17 000 postes en 2008 !

    C’est Nicolas Sarkozy qui, la main sur le cœur, en rajoute sur le droit opposable au logement, mais c’est le même qui préfère accorder près de 4 milliards d’euros pour exonérer les intérêts d’emprunts alors que cette somme aurait pu permettre le doublement de la construction de logements sociaux.

    C’est le candidat Sarkozy qui promettait de faire baisser la dette sous les 60 % du PIB ; c’est le même qui accepte qu’elle franchisse 65 % à la fin de l’année !

    Peut-on au moins reconnaître au gouvernement de s’être immédiatement mis au travail ? Il y a par exemple le vote de la loi sur la récidive et les mineurs délinquants…

    C’est un très bon exemple. Il illustre la précipitation dans laquelle le gouvernement travaille.

    C’est quand même un véritable sujet ?

    De quoi parle-t-on ? D’une nouvelle réforme de la loi pénale alors que l’encre n’est pas encore sèche pour les trois réformes précédentes. Y avait-il véritable urgence à légiférer ? Le gouvernement précédent avait-il laissé la France dans un tel état d’insécurité ?

    Les sanctions existent et le débat au Sénat a permis de relever que les juges et les jurés appliquent déjà avec sévérité la loi pénale. Les condamnations en matière criminelle sont d’ores et déjà supérieures aux peines plancher que veut instituer Rachida Dati. En revanche, 30 % des peines prononcées aujourd’hui ne seront pas exécutées demain, faute de moyens suffisants alloués au ministère de la Justice. En revanche, la loi alourdira les peines pour les délits. Avec le projet actuel, nous allons essentiellement engorger nos prisons de délinquants – y compris mineurs – qui, faute de structures adaptées pour les encadrer et préparer leur réinsertion, vont entrer dans un processus d’escalade. La loi Dati est paradoxalement une machine à créer de la récidive.

    On parle toutefois de « loi Dati », est-ce que ce n’est pas un progrès ?

    Le progrès, c’est une femme issue de la diversité qui devient garde des Sceaux. La régression, c’est hélas la loi que cette même ministre défend au nom du gouvernement.

    Est-ce que la nomination de plusieurs ministres issus de la diversité n’est pas une pierre jetée dans le jardin du PS ?

    Dois-je rappeler que nous ne sommes pas au pouvoir ? Je souligne tout de même que depuis le congrès de Dijon, nous avons toujours veillé à ce que notre exécutif à nous, le bureau national, soit justement représentatif de la société française. Faouzi Lamdaoui, Malek Boutih, Safia Ottokoré, Kader Arif, Harlem Désir, Bariza Khiari, Ouarda Karraï, sont la démonstration de ce Parti socialiste qui valorise tous les talents.

    Je ne suis pas certain que nous soyons étrangers à la décision de Nicolas Sarkozy. Sur la parité comme sur la diversité, nous avons été les précurseurs et tant mieux si la droite nous emboîte le pas et même nous précède au plan gouvernemental. Il nous faudra être encore plus ambitieux.

    Vous rappelez que le PS a été à l’origine de certaines innovations dans la vie politique. Dans cette ligne, comment va s’organiser le processus de refondation annoncé ?

    Nous allons nous remettre ensemble au travail dès l’université d’été de La Rochelle. J’insiste sur la nécessité de nous livrer à cette refondation, ensemble. Le calendrier politique de la rentrée sera chargé (débat budgétaire, réforme des institutions, préparation des municipales…) mais rien ne serait pire que de repousser à des jours meilleurs la réflexion. Je lancerai donc dès le mois de septembre trois groupes de travail, rassemblant toutes les générations, pour aboutir à trois grands forums thématiques qui se dérouleront entre le 24 novembre et le 20 janvier.

    Il s’agira au terme de ces trois rendez-vous de nous accorder sur les diagnostics, les principes fondamentaux et les valeurs sur lesquels doit reposer une politique socialiste. Il s’agit de réaffirmer dès cette période une ambition qui se déclinera ultérieurement sous la forme d’un programme.

    Nous entreprendrons parallèlement dès le début de l’année 2008 une double réflexion, d’abord sur l’évolution nécessaire de notre fonctionnement (adhésions, fonctionnement, etc.) et, plus stratégiquement, sur les modalités d’une structuration de la gauche.

    Donc, si on comprend bien, il vaut mieux commencer par de bonnes vacances…

    Oui… pour bien s’opposer, il faut commencer par bien se reposer. Bonnes vacances à toutes et tous ! Et merci pour le travail accompli pendant tous ces mois de campagne. Certes, nous n’avons pas gagné. Mais, soyons fiers de nos valeurs et prêts pour les combats démocratiques qui s’annoncent.

    Propos recueillis par Thomas Colognac et Éric Lamien


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