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Xavier Timbeau : On grille nos cartouches pour lavenir
Xavier Timbeau : On grille nos cartouches pour lavenir
Pour Xavier Timbeau, économiste à Sciences Po, le paquet fiscal répond avant tout à des promesses électorales idéologiques, au détriment de toute efficacité économique. Et le ralentissement annoncé de la croissance risque den accroître limpact négatif sur les capacités dinvestissement de l État.
Le « paquet fiscal » de 15 milliards deuros élaboré par le gouvernement va-t-il réellement profiter, avant tout, aux plus aisés ?
Il est clair quune grande partie des bénéficiaires de ce paquet fiscal est constituée des personnes les plus riches en France. Cest vrai notamment des mesures relatives à lISF et aux droits de succession, qui sappliqueront aux patrimoines les plus importants, cest-à-dire à 1 % des contribuables pour lISF et aux 15 % qui nen étaient pas encore exonérés pour les droits de succession.
Pour lexonération des intérêts demprunts, le public est un peu différent. Il sagit cependant des classes moyennes et moyennes supérieures, actives et disposant dun revenu assez élevé pour prétendre accéder à la propriété. Les dispositions sur les heures supplémentaires, enfin, concernent les salariés dont le revenu ne dépasse pas deux fois le Smic. Il sagit donc réellement de la classe moyenne. Mais là encore, on peut sinterroger sur léquité du dispositif, dans la mesure où il exclut toute une frange de salariés dont le temps de travail a été annualisé et qui, de fait, ne bénéficieront pas des heures supplémentaires majorées. Cest aussi, dune certaine façon, une « prime » aux organisations du travail très peu négociées.
Ce plan permettra-t-il une relance de la consommation ?
On peut en douter. Lexonération de lISF,comme linstauration dun bouclier fiscal, ne vont pas conduire leurs bénéficiaires à consommer plus. Il eut été plus efficace, pour relancer la consommation, de redonner du pouvoir dachat aux bas salaires. Le bouclier fiscal à 50 %, la réforme de lISF et des droits de succession correspondent plus à la réalisation de promesses électorales quà des mesures économiquement efficaces. On sest aperçu, au passage, que ces impôts que lon disait peu rentables fiscalement représentent en réalité des sommes non négligeables pour les finances publiques.
Ces réformes auront-elles, néanmoins, des vertus macroéconomiques ?
Lefficacité de telles mesures, sur un plan économique, est discutable. Au lieu de favoriser lactivité économique, la création et linnovation, en avantageant par exemple les start-up,en jouant sur les cotisations sociales, cest-à-dire sur le coût du travail, on favorise au contraire des situations déjà établies. On récompense ceux qui ont déjà réussi. Il eut été plus pertinent dinvestir cet argent dans léducation, la recherche publique ou encore le revenu de solidarité active. Ce choc fiscal risque, au final, de produire des effets telluriques assez limités
Sauf peut-être pour les finances publiques
Le plan de départ, pour financer sans douleur ce paquet fiscal, misait sur une accélération de la croissance. Mais la mauvaise nouvelle, cest que cette croissance risque de ne pas être au rendezvous. Outre le creusement du déficit, et donc de la dette, la mauvaise conjoncture, si elle se confirme, ne permettra pas de lier ce paquet fiscal à une potentielle efficacité économique, lui ôtant ainsi une certaine légitimité. Cette réforme fiscale obère également les marges de manoeuvres budgétaires qui pourraient savérer indispensables en cas de ralentissement conjoncturel. Dune certaine façon, on « grille » nos cartouches pour lavenir.
Les autres mesures qui,pour le coup, ne sont pas des cadeaux, comme le plancher fiscal (1) ou les franchises, peuvent- elles assurer le financement du paquet fiscal ? Les moins aisés vont-ils payer pour les plus riches ?
Il est encore trop tôt pour connaître précisément les catégories concernées par ces mesures. Tout dépendra, pour les franchises, des éventuelles exonérations en direction des revenus les plus faibles, et des tranches de revenus concernées par le plancher fiscal. Suivant ces exonérations, le public sollicité financièrement peut être très différent. Quoi quil en soit, ces mesures relèvent pour linstant du symbolique au regard des sommes en jeu. On est très loin de pouvoir financer un paquet fiscal à quinze milliards deuros. Tout au plus, le gouvernement réussira-t-il à mobiliser un milliard. Concernant le plancher fiscal, il aurait été plus juste de nettoyer un certain nombre de niches fiscales plutôt que dinstaurer un impôt plancher.
La croissance permettra-t-elle à elle seule daméliorer la situation économique pour lensemble de la population ?
Au delà de la croissance, cest surtout la façon dont on se positionne aujourdhui par rapport à la mondialisation qui importe. Doit-on laccepter sans réserves, la considérer comme la seule source de progrès, en atténuant légèrement ses effets les plus néfastes, ou au contraire considérer, comme lavancent les altermondialistes, quelle génère plus de problèmes quelle napporte de solutions ? Ce débat nest pas tranché. Mais ce qui est sûr, cest que dans les pays en voie de développement qui sont actuellement au coeur de la mondialisation, seule une petite partie de la population profite de cette croissance. Leur modèle de développement économique génère de fortes inégalités, qui sont aussi à la base de leur croissance, et que lon retrouve dans les pays anglo-saxons. Jusquà maintenant, la France, et plus largement lEurope continentale, a plutôt bien résisté à ce mouvement. Elle a su préserver un modèle social redistributif et une protection sociale élevée. Mais la façon dont est aujourdhui présenté ce débat est inquiétante. Poser demblée la question : « comment faire pour préserver notre modèle social ? », cest le considérer, a priori, comme un boulet dans la compétition économique mondiale. Je ne suis pas sûr que lon aborde ce débat de la bonne manière. Il y a dans sa présentation, notamment au sein de la commission présidée par Jacques Attali, des intentions pas forcément avouables.
La notion de pouvoir dachat et sa mesure semblent également poser problème ?
Cette question rejoint celle de la croissance. Audelà des indices de pouvoir dachat, ce qui compte, cest de pouvoir peser sur la réalité.Si la croissance, et par conséquence le pouvoir dachat, ne profite quà une infime partie de la population,son intérêt est limité. Or on assiste aujourdhui à une augmentation des inégalités de revenus dans le monde. Dans des pays comme les États-Unis, la Chine,lInde ou le Brésil,la frange la plus riche de la population atteint des niveaux de richesses semblables à ceux du début du XXe siècle. Le danger, pour la France et lEurope continentale, serait de rejoindre ces modèles, alors que nous avons su, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, assurer une répartition plus juste des fruits de la croissance.
Propos recueillis par Luc Peillon
1. Le gouvernement projette de mettre en place une imposition minimum pour les contribuables qui déduisent de leur revenu imposable différentes exonérations votées par le Parlement au fil du temps : salaire de lemployée de maison ou de la nourrice, abattements pour travaux en faveur des économies dénergie, dons aux oeuvres, cotisations syndicales, etc.
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